English original, Mars 2002

Par: Eric Krebbers

Traduit de l'anglais en français par Yves Coleman (Ni patrie ni frontières)



Le racisme libéral aux Pays-Bas

Lors des élections locales de mars 2002, près d’un tiers de la population de Rotterdam a voté pour le populiste de droite Pim Fortuyn. Deux mois plus tard, Fortuyn a été assassiné. Près de dix jours plus tard, son parti – la LPF (Lijst Pim Fortuyn) – a obtenu 26 des 150 sièges au Parlement. Fondé seulement trois mois auparavant, la LPF est devenu le deuxième plus gros parti des Pays-Bas.


La victoire importante de Fortuyn repose sur 10 années de campagnes incessantes contre les immigrés, campagnes menées par des leaders d’opinion, des spécialistes des sciences sociales et des politiciens conservateurs, libéraux, chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates. Le dirigeant conservateur Bolkestein a passé la plus grande partie des années 1990 à dénoncer les immigrés et les réfugiés comme des « criminels » et des « profiteurs de la Sécurité sociale », jusqu’à ce qu’il soit promu commissaire européen à Bruxelles. Des sentiments de supériorité raciale qui datent de la période coloniale sont facilement réapparus au sein de la société. Les Néerlandais ont commencé à percevoir les migrants et les réfugiés avant tout comme un problème. Beaucoup de lois contre l’immigration sont passées sans susciter beaucoup de protestations. Le numéro social et fiscal a été introduit en 1992, l’obligation d’avoir des papiers d’identité en 1995, et la loi Koppelingswet en 1998 : cette loi permettait le couplage de toutes les bases de données publiques afin d’exclure les sans-papiers des services sociaux.

En 2001, une nouvelle loi sur l’immigration a rendu presque impossible aux réfugiés d’obtenir le droit d’asile aux Pays-Bas. En même temps, les contrôles aux frontières se sont multipliés, le nombre de descentes de police s’est accru dans les entreprises, tout comme le nombre de prisons réservées aux sans-papiers. En raison de ses luttes internes, l’extrême droite n’a pas pu utiliser le climat raciste, descendre dans les rues et construire un parti solide. Ses militants n’auraient pas pu, de toute façon, mobiliser beaucoup de gens, parce qu’ils étaient encore associés à l’occupation nazie durant la Seconde Guerre mondiale et aussi parce que les grands partis respectables attaquaient férocement les étrangers.

Au printemps 2000, Paul Scheffer (un leader d’opinion ex-communiste) publia son fameux article sur le « drame multiculturel ». Selon lui, les migrants et les réfugiés ne s’intégraient pas assez dans la société néerlandaise. La plupart des autres leaders d’opinion des grands médias l’approuvèrent et affirmèrent que les Néerlandais avaient été trop tolérants avec les étrangers, qui ont des idées et des coutumes « barbares » que « nous les Néerlandais libéraux n’approuvons pas ». Ils se présentèrent tous comme de grands défenseurs des Lumières, et défendirent l’égalité entre les hommes et les femmes, la séparation entre l’Eglise et l’Etat, les droits de l’individu, etc. Ils affirmèrent que ces droits avaient tous été mis en pratique depuis longtemps dans l’ « Occident libre » par des gens comme eux. Cette auto-promotion se déroula sur le dos de tous les étrangers qu’ils présentaient comme des individus à l’opposé d’eux-mêmes, comme des fondamentalistes islamistes fanatiques. Les leaders d’opinion lancèrent une guerre dans les médias contre « l’islam », qu’ils ne pouvaient tout simplement pas perdre. Ceux qui prennent le parti de ces « gens dangereux et arriérés », ont, selon Scheffer, « fait reculer d’un demi-siècle l’horloge de l’histoire néerlandaise ». La plupart des leaders d’opinion s’opposent à l’entrée de nouveaux migrants ou réfugiés aux Pays-Bas.

Les leaders d’opinion ont réussi à mobiliser presque toute la société, et pas seulement la droite traditionnelle. Par exemple, en attaquant continuellement le hijab que portaient certaines femmes musulmanes, en affirmant que le voile était par définition répressif pour les femmes, ils ont réussi à convaincre de grandes fractions du mouvement féministe.

La même chose s’est produite avec le mouvement homosexuel, quand un imam inconnu (Khalil el-Moumni) déclara que l’homosexualité était une maladie. Sa remarque fut transformée en un gigantesque scandale. Curieusement, quelques mois auparavant, le député chrétien fondamentaliste Van Dijke avait fait une déclaration pratiquement semblable en affirmant que les homosexuels ne valaient pas mieux que les voleurs. Et cela n’avait pas provoqué de réaction aussi bruyante. De plus en plus, des maux comme le fondamentalisme, l’homophobie, le patriarcat et l’antisémitisme sont considérés comme « anti-néerlandais » et importés par des étrangers. C’est bien sûr pour nous une idée absurde, ce qui ne veut pas dire pour autant que ces problèmes ne se posent pas chez les migrants et les réfugiés. Mais ces questions n’ont aucun lien avec la nationalité.

Puis est arrivé le 11 septembre 2001. Vu ce qui s’était passé au cours des dix années précédentes, il ne faut pas s’étonner que la réaction ait été extrêmement violente aux Pays-Bas, en comparaison avec les pays voisins. Des dizaines de mosquées et centres d’asile furent attaqués. On exigea que tous les étrangers dénoncent publiquement Ben Laden, le fondamentalisme ou même l’islam dans son ensemble. Et, trois avant le 11 septembre, le leader d’opinion Fortuyn décida d’entrer en politique.

Enseignant à l’université, il eut la possibilité d’exprimer publiquement des opinions racistes pour lesquelles des militants néonazis étaient habituellement inculpés. Il qualifia l’islam de « religion arriérée » et suggéra à d’innombrables reprises que les homosexuels comme lui ne se sentaient plus en sécurité aux Pays-Bas à cause de l’homophobie des Marocains. Il attaqua l’ « islamisation » de la culture néerlandaise et prôna une « guerre froide contre l’islam » parce que les « musulmans [étaient] en train de conquérir l’Europe occidentale ». Il dénonça souvent les étrangers comme des criminels. Nous devrions avoir la liberté de dire ces « vérités » sur les étrangers, sans être traités de racistes, affirmait Fortuyn. À chaque nouvelle remarque raciste de sa part, sa popularité croissait.

Fortuyn fut assassiné le 6 mai, seulement 9 jours avant les élections. Soudain le climat raciste qui était en train de s’installer depuis des années apparut clairement aux yeux de tous. Il y avait des pogromes dans l’air. Le meurtrier était-il un étranger ou, pire, un musulman ? Heureusement il s’avéra qu’il était Blanc et aucune attaque raciste ne se produisit. Mais des dizaines de milliers de fans de Fortuyn manifestèrent pendant des jours aux côtés de militants nazis. On voyait des drapeaux néerlandais partout, et les gens pleuraient leur « sauveur » qui était mort, l’homme qui allait nous « débarrasser de la plaie de l’immigration et de la criminalité », l’homme qui « n’avait pas peur de dire tout haut ce que nous pensons ». Un nouveau gouvernement incluant la LPF vient d’être formé après les élections et il planifie de nouvelles lois contre l’immigration, contre le regroupement familial et les derniers réfugiés qui réussissent encore à atteindre le pays.

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