La lutte contre le travail obligatoire des chômeurs à Leyde

Un piquet devant le siège de DZB.
Un piquet devant le siège de DZB.
Le conseil municipal de Leyde a introduit le travail obligatoire pour les bénéficiaires d’allocations chômage. Doorbraak mène campagne contre cette politique et nous allons donc présenter notre lutte sous la forme d’une petite chronologie.

Le texte original en néerlandais
(4 janvier 2012)

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Traduit de l’anglais en français par Yves Coleman de Ni patrie ni frontières.

8 sep­tem­bre 2010. La lutte contre le tra­vail obli­ga­toire a en fait com­mencé à Amsterdam avant de s’étendre à Leyde (Leiden en néerl­andais). Le Steuncomité Sociale Strijd (Comité de sou­tien aux luttes socia­les, CSLS), auquel Doorbraak par­ti­cipe éga­lement, a lancé une cam­pa­gne en 2010 contre le projet pilote “Loondispensatie” (“déro­gation sala­riale”) (1) mis au point par la conseillère muni­ci­pale de la Gauche verte (Groenlinks) Andrée Van Es. La Gauche verte est un Parti libéral de gauche éco­log­iste. Par le biais de ce projet, Mme Van Es veut obli­ger les chômeurs à tra­vailler dans des emplois payés en des­sous du salaire mini­mum. “Le CSLS exige que le salaire mini­mum soit main­tenu. À tra­vail égal, salaire égal est en effet l’une des pier­res angu­lai­res du système social. Ce prin­cipe ne devrait pas être remis en cause”, expli­que le Comité dans une bro­chure. “Aujourd’hui, tous les sala­riés ont droit à un salaire fixé par leurs conven­tions col­lec­ti­ves res­pec­ti­ves. Un droit acquis par nos parents et grands-parents au terme d’une lutte longue et dure. Ce que l’on veut nous impo­ser, c’est une des pires formes de démo­lition de la sécurité sociale. À une époque où les PDG des ban­ques peu­vent de nou­veau se rem­plir les poches, encore une fois les gens d’en bas doi­vent payer la fac­ture. Nous ne pou­vons pas lais­ser cela se pro­duire !”

4 février 2011. La com­mis­sion sur le tra­vail et les finan­ces du conseil muni­ci­pal de Leiden dis­cute des plans pour mettre en place le tra­vail obli­ga­toire. Les mili­tants de Doorbraak par­ti­ci­pent à cette consul­ta­tion et sont applau­dis par un grand nombre des par­ti­ci­pants parce qu’ils rejet­tent, par prin­cipe, tout tra­vail obli­ga­toire.

La durée du tra­vail obli­ga­toire peut s’étendre de trois mois (“ops­tap­baan”, les “emplois d’inclu­sion”) jusqu’à deux ans (“par­ti­ci­pa­tie­baan”, que l’on peut tra­duire par les “pre­miers emploi”, même si en néerl­andais le concept inclut la notion de par­ti­ci­pa­tion ou de par­tage). Mais cela peut être pire, parce que ceux qui se retrou­vent au chômage et deman­dent des allo­ca­tions chômage sont obligés de tra­vailler pen­dant six semai­nes pour la muni­ci­pa­lité sans être payés. Si leur demande d’allo­ca­tions est approuvée, ils rece­vront rétro­ac­ti­vement des allo­ca­tions chômage pour cette pér­iode. Cependant, si leur demande est rejetée, ils auront été floués – pas de chance.

Dans un “emploi d’inclu­sion”, le chômeur doit bosser pen­dant trois mois pour un patron, sans même rece­voir le salaire mini­mum, et encore moins le salaire fixé par la conven­tion col­lec­tive. Pendant cette “pér­iode de fami­lia­ri­sa­tion ou de stage”, il conti­nuera à per­ce­voir ses allo­ca­tions chômage. Il est prévu que, après cette pér­iode, la per­sonne concernée tou­chera un salaire normal de son patron, qui à son tour rece­vra effec­ti­ve­ment cet argent de la muni­ci­pa­lité pen­dant une pér­iode de deux ans. “Cette poli­ti­que doit éga­lement être atti­rante pour l’employeur”, affirme le conseil muni­ci­pal, qui comme d’habi­tude se soucie plus de l’intérêt des entre­pri­ses que des intérêts de ses pro­pres citoyens. La plu­part de ceux qui ne peu­vent pas être contraints à ces “emplois d’inclu­sion” fini­ront par se retrou­ver dans des “pre­miers emplois.” Dans ce cas, ils devront tra­vailler jusqu’à un maxi­mum de 24 mois avec un salaire inférieur mini­mum et au salaire de la conven­tion col­lec­tive. Les emplois dont la muni­ci­pa­lité pense qu’ils pour­raient être des “emplois de sou­tien dans les écoles, les soins à domi­cile, les hôpitaux, les parcs, les jar­dins, la sécurité, etc.

Fondamentalement tous les emplois qui étaient aupa­ra­vant rangés dans la caté­gorie des “emplois sub­ven­tionnés” sont qua­li­fiés pour deve­nir des “pre­miers emplois””, selon les plans pour mettre en place le tra­vail obli­ga­toire. Ainsi, toute une caté­gorie de per­son­nes se trouve repoussée encore plus vers le bas de l’éch­elle. Prenons l’exem­ple d’un concierge qui avait un emploi normal, res­pec­tant les conven­tions col­lec­ti­ves, mais qui a été licen­cié pen­dant les années 90 et est devenu chômeur. La muni­ci­pa­lité l’a obligé, sous le cou­vert du Banenpool (“le pool des emplois”) et de l’ID-baan (“les emplois de recy­clage tem­po­rai­res”) à faire exac­te­ment le même tra­vail, mais dés­ormais au salaire mini­mum, en le pri­vant d’un cer­tain nombre de droits. Ces systèmes du “pool des emplois” et des “emplois de recy­clage tem­po­rai­res” ont été intro­duits dans les années 90 et au début des années 2000 par le gou­ver­ne­ment néerl­andais afin de faire tra­vailler des chômeurs à des emplois sub­ven­tionnés par l’Etat. Autour de 2006, le concierge a été de nou­veau licen­cié quand les “emplois de recy­clage tem­po­raire” ont été sup­primés. Et main­te­nant, la muni­ci­pa­lité sou­haite le pous­ser à repren­dre tou­jours le même tra­vail, mais en ne rece­vant plus que des allo­ca­tions chômage et sans béné­ficier des moin­dres droits garan­tis par les conven­tions col­lec­ti­ves. L’appau­vris­se­ment et la démo­lition des droits des sala­riés sont mis en place par la muni­ci­pa­lité.

Ce soir-là, jusqu’à 50 citoyens concernés de Leyde étaient présents. Une des per­son­nes qui avaient uti­lisé son droit à par­ti­ci­per à cette consul­ta­tion a tenu un dis­cours très viru­lent : “Le choix est clair : si les béné­fici­aires d’allo­ca­tions chômage refu­sent le tra­vail qu’on leur pro­pose, leurs allo­ca­tions, qui sont vita­les pour leur survie phy­si­que, seront résiliées. Refuser le tra­vail obli­ga­toire impli­que de ne rece­voir aucune allo­ca­tion chômage, ce qui signi­fie ne pou­voir ache­ter aucune nour­ri­ture, en clair sans nour­ri­ture il ne nous reste plus qu’à crever, a-t-il dit. Difficile d’ima­gi­ner un système plus fondé sur la contrainte. En fin de compte, c’est comme si on bra­quait un pis­to­let sur la tête de quelqu’un et qu’on le forçait à accep­ter un tra­vail obli­ga­toire. Il y a d’un côté un tra­vail, de l’autre la contrainte maxi­male, donc il s’agit du tra­vail obli­ga­toire sous sa forme la plus claire, à savoir qu’on veut nous forcer à tra­vailler, même sans tou­cher de salaire. Bientôt nous ver­rons deux grou­pes de balayeurs forcés de net­toyer les rues, un groupe com­posé de per­son­nes condamnées à des tra­vaux d’intérêt général et un autre groupe cons­ti­tué de béné­fici­aires des allo­ca­tions chômage. Le pre­mier groupe pourra ren­trer chez lui après avoir tra­vaillé pen­dant 240 heures, le second devra conti­nuer à marner pen­dant deux ans avec une pro­lon­ga­tion pos­si­ble de deux autres années.”

4 mars 2011. Doorbraak orga­nise, en coopé­ration avec le Bijstandsbond (l’Union des béné­fici­aires d’allo­ca­tions chômage), une réunion pour dis­cu­ter des humi­lia­tions et des tech­ni­ques dis­ci­pli­nai­res que les chômeurs doi­vent subir aux Pays-Bas, et donc aussi à Leiden, et des pos­si­bi­lités de rés­ist­ance à la base contre ces mesu­res.

6 novem­bre 2011. Lors d’une réunion du Bijstandsbond, un mili­tant de Doorbraak demande au député du SP (un parti “socia­liste”, ex-maoïste, qui se prétend d’extrême gauche, NPNF) Sadet Karabulut et à la conseillère muni­ci­pale de la Gauche verte Van Es com­ment ces partis peu­vent par­ti­ci­per à l’impo­si­tion du tra­vail obli­ga­toire pour les chômeurs dans le cadre de leur acti­vité au sein des conseils muni­ci­paux. L’atti­tude des sec­tions de ces partis varie beau­coup selon les régions. Par exem­ple, la sec­tion du SP de Sittard-Geleen fait cam­pa­gne contre le fait que le conseil muni­ci­pal n’appli­que pas le salaire mini­mum, tandis que, dans le même temps, le SP de Leyde fait partie du conseil muni­ci­pal et col­la­bore à l’éla­bo­ration d’une nou­velle poli­ti­que qui force les chômeurs à accep­ter un tra­vail forcé non rémunéré. À Leyde, la Gauche verte fait partie de l’oppo­si­tion locale et prend une posi­tion de prin­cipe contre toute déro­gation sur le salaire mini­mum, mais à Amsterdam la conseillère muni­ci­pale Van Es de la Gauche verte met en œuvre cette poli­ti­que. Quant à la sec­tion du SP à Amsterdam elle cri­ti­que cou­ra­geu­se­ment ces mêmes mesu­res. Quelques jours plus tard, la com­mis­sion natio­nale des par­le­men­tai­res du SP nous infor­mera que “la sec­tion de Leyde n’est pas en accord avec la posi­tion du SP au Parlement. Nous allons bien sûr dis­cu­ter de ce pro­blème avec eux”.

7 novem­bre 2011. Dans l’après-midi, 15 mili­tants et sym­pa­thi­sants de Doorbraak orga­ni­sent un piquet devant le siège de DZB (1) dans la ban­lieue de Leiden contre l’ouver­ture d’un nou­veau “centre par­ti­ci­pa­tif”, ou “centre de par­tage” (qui orga­nise le tra­vail forcé pour les chômeurs). Cette céré­monie “fes­tive” réunit envi­ron 50 admi­nis­tra­teurs, poli­ti­ciens et autres per­son­nes intéressées. Nous les rece­vons avec une ban­de­role qui affirme : “Non à la pré­carité, non au tra­vail obli­ga­toire” et des pan­car­tes qui expri­ment notre pro­tes­ta­tion avec des slo­gans tels que “Luttons contre le tra­vail obli­ga­toire” et à côté d’un sani­taire mobile mis en place pour l’occa­sion “Aux chiot­tes le centre de par­tage !” et “Le tra­vail obli­ga­toire c’est de la merde !”

Un groupe de mili­tants, déguisés en tra­vailleurs forcés et habillés en gue­nilles, s’est aussi mis à net­toyer la rue et faire d’autres corvées inu­ti­les. Des tracts conte­nant des infor­ma­tions sur notre action ont été éga­lement dif­fusés.

Les per­son­nes sor­tant du bâtiment du DZB nous ont raconté plu­sieurs his­toi­res sou­vent ter­ri­bles. L’une d’elles avait déjà tra­vaillé pen­dant huit semai­nes sans aucune rému­nération, dans l’espoir de rece­voir à un moment donné les allo­ca­tions chômage. En atten­dant, il sur­vi­vait grâce à l’assu­rance mala­die qu’il rece­vait. Les employés du “centre par­ti­ci­pa­tif” ne sont pas non plus très enthou­sias­tes à propos des nou­veaux plans. Ils affir­ment qu’ils “doi­vent” les res­pec­ter. Mais ils en souf­frent, nous confient-ils d’un ton dra­ma­ti­que. Certains prét­endent même que ce sont eux, et non les chômeurs, les véri­tables vic­ti­mes de la poli­ti­que répr­es­sive.

Le conseiller muni­ci­pal du SP, Louk Rademaker, venu assis­ter à l’inau­gu­ra­tion de ce “centre par­ti­ci­pa­tif” essaie d’expli­quer aux mili­tants de Doorbraak qu’il est pré­fé­rable que son parti y par­ti­cipe que de la boy­cot­ter. Bien sûr, il se déc­lare opposé à ce “centre par­ti­ci­pa­tif”, mais il s’avère qu’il a voté pour la cons­truc­tion de ce centre quand le point a été dis­cuté au conseil muni­ci­pal. Et il a aussi voté pour la nou­velle mesure consis­tant à reti­rer 10% des allo­ca­tions chômage à ceux qui louent une cham­bre plutôt qu’un appar­te­ment. Face à la colère de ceux qui ont été affectés par cette décision, il a rép­ondu d’une façon mathé­ma­tique-bureau­cra­ti­que en expli­quant que ce n’était pas une déd­uction de 10%, mais seu­le­ment de 8,3%. Il défend cette poli­ti­que, car, selon lui, il n’y a pas d’autre choix pos­si­ble.

Plus tard, Rademaker expri­mera sa déc­eption face à notre compte rendu sur le site de Doorbraak à propos du piquet orga­nisé devant le centre. Selon lui, Doorbraak aurait rabaissé les chômeurs et avancé une cri­ti­que uni­laté­rale contre lui et le SP. “Ne sommes-nous pas tous du même côté ?”, écrit-il dans une lettre très émo­tive adressée à Doorbraak. Un de nos mem­bres lui a rép­ondu que lui aussi était déçu, mais par ce conseiller muni­ci­pal lui-même :

“Ce que vous, à votre tour, ne prenez pas en compte, comme le montre votre réaction, c’est que vous en tant que per­sonne vous vous atta­quez direc­te­ment à moi et m’avez mis dans une situa­tion encore plus préc­aire. Je perçois des allo­ca­tions chômage et j’ai reçu une lettre indi­quant qu’on va m’en enle­ver 10% parce que je vis dans une cham­bre louée, et que je devrais peut-être aussi effec­tuer un tra­vail obli­ga­toire dans un avenir proche. Sauf erreur de ma part, en tant que membre du conseil muni­ci­pal, vous avez voté en faveur de ces deux mesu­res. Votre décision rend cette dis­cus­sion pour moi très émoti­onn­elle : je vais avoir de gran­des dif­fi­cultés matéri­elles à cause d’une poli­ti­que dont vous êtes cores­pon­sa­ble. Nous pou­vons prét­endre que nous sommes appa­rem­ment des cama­ra­des, que nous sommes du même côté, mais en pra­ti­que, vous avez voté pour ma pré­carité. Mettez-vous à ma place. Je pense que j’ai plus de rai­sons d’être déçu de vous en tant que conseiller muni­ci­pal du SP (j’ai voté pour ce parti lors des der­nières élections loca­les) que vous de moi. Pour moi et pour les autres chômeurs de Doorbraak ce n’est pas une dis­cus­sion poli­ti­que abs­traite, mais la ques­tion de savoir com­ment je vais sur­vi­vre et com­ment nous pou­vons nous battre ensem­ble pour notre survie. Donc com­ment lutter contre les mesu­res que vous avez votées. Vous avez déclaré que, lors de notre piquet devant le centre, un mili­tant était vêtu comme un chômeur et jouait le rôle d’un chômeur : c’est en fait un chômeur. Il a le droit d’inter­préter ce rôle comme il le sou­haite, car s’il a offensé quelqu’un, c’est essen­tiel­le­ment lui-même. Il ne prétend pas représ­enter les chômeurs de Leiden, il est l’un d’eux et il a essayé de représ­enter la façon dont nous, les chômeurs, sommes traités dans les jour­naux de la muni­ci­pa­lité. Journaux dont les comités de réd­action accueillent des mem­bres du SP.”

17 novem­bre 2011. Le “Conseil des clients” de Leyde, une orga­ni­sa­tion qui représ­ente les intérêts des béné­fici­aires d’allo­ca­tions de chômage, a orga­nisé une réunion qui, mal­heu­reu­se­ment, res­sem­blait à un show télévisé avec des admi­nis­tra­teurs, ou à un pro­gramme de for­ma­tion pour les fonc­tion­nai­res muni­ci­paux. La voix et les contri­bu­tions des chômeurs n’avaient pas la moin­dre place dans ce pro­gramme. Le public a dû poli­ment écouter les dis­cours des ora­teurs invités et les orga­ni­sa­teurs n’ont réservé qu’un temps infime au débat sur la démo­lition des droits sociaux, sur le plan local et natio­nal. Au bout de trois lon­gues heures, les chômeurs présents dans la salle se sont sentis “gavés” par le jargon tech­no­cra­ti­que des ora­teurs, au point qu’ils avaient l’impres­sion d’avoir assisté à une séance d’un pro­gramme de réins­ertion obli­ga­toire.

Les mili­tants présents ont à nou­veau pu vérifier à quel point il est impor­tant que les chômeurs contrôlent eux-mêmes leurs luttes. Si la gauche veut pro­tes­ter contre la poli­ti­que de démo­lition sociale, elle ne doit avoir aucune confiance dans ces soi-disant “représ­entants des intérêts” de la popu­la­tion qui appar­tien­nent aux cou­ches moyen­nes et supéri­eures, comme c’était le cas des ora­teurs invités par le “Conseil des clients” de Leyde.

Apparemment, cette orga­ni­sa­tion n’a pas eu l’idée d’invi­ter au moins un chômeur à parler à la tri­bune, et encore moins d’invi­ter autant de chômeurs que de “représ­entants” auto­pro­clamés. Dans une telle réunion, chaque chômeur devrait dis­po­ser du même temps de parole que les ora­teurs invités, et avoir un micro indi­vi­duel pour pou­voir rép­ondre à toutes les ques­tions au lieu de seu­le­ment être auto­risé à poser des ques­tions aux ora­teurs invités.

Durant cette réunion, un fonc­tion­naire de la muni­ci­pa­lité a affirmé que les allo­ca­tions chômage n’étaient plus “un filet de sécurité”, mais “un trem­plin” pour trou­ver du tra­vail. Selon lui, il faut dés­ormais “acti­ver, faire bouger” les chômeurs, en d’autres termes : il faut tous les pous­ser vers des emplois qui n’exis­tent pas ou plus. Les chômeurs ne béné­fic­ieront plus d’aucune aide pour trou­ver du boulot, et doi­vent donc autant que pos­si­ble “diri­ger eux-mêmes” cette recher­che de tra­vail. Mais quand la muni­ci­pa­lité parle des employeurs des tra­vailleurs obli­ga­toi­res, elle emploie un ton très différent. Les patrons ont le droit de n’avoir “aucun souci”, de vou­loir éviter “tout pro­blème”. La muni­ci­pa­lité sou­haite alléger au maxi­mum leur tra­vail, selon ce res­pon­sa­ble muni­ci­pal. La “popu­la­tion” qui est en mesure de tra­vailler doit le faire dès que pos­si­ble, prévient-il. Parce qu’il faut, d’après lui, mettre fin aux “abus des allo­ca­tions chômage”. Comme si les béné­fici­aires des allo­ca­tions chômage étaient par défi­nition des frau­deurs ! Afin de les forcer à tra­vailler, la muni­ci­pa­lité (et bientôt, en 2013, la muni­ci­pa­lité, uti­lise ce qu’il appelle un “ins­tru­ment tech­ni­que” : la “déro­gation sala­riale”, qui n’est rien d’autre qu’un moyen de ne pas verser le salaire mini­mum et évid­emment d’affai­blir les droits des tra­vailleurs. Durant toute l’après-midi nous avons dû conti­nuer à enten­dre ce jargon qui dis­si­mule la vérité et nous dés­hu­ma­nise avec des expres­sions et des termes comme “nou­velle men­ta­lité”, “indi­vi­dua­li­sa­tion”, “trans­pa­rence”, “adap­ta­bi­lité”, “com­par­ti­men­ta­li­sa­tion”, “four­ni­ture de ser­vi­ces” et “il faut penser en termes d’effi­ca­cité plutôt que d’égalité”.

À la tri­bune, Rob Splint, membre de la FNV, le syn­di­cat le plus impor­tant aux Pays-Bas, a déf­endu une posi­tion par­ti­cu­liè­rement modérée à propos du tra­vail obli­ga­toire. Il accepte que les chômeurs tra­vaillent pen­dant “3 à 6 mois” sans contrat. “Mais pour­quoi accep­tez-vous une telle mesure ?”, lui a demandé l’un des par­ti­ci­pants. “Parce que ces gens doi­vent d’abord passer par une pér­iode d’adap­ta­tion dans l’entre­prise”, répond-il. Mais tous les tra­vailleurs n’ont-ils pas besoin d’un temps d’adap­ta­tion dans les boîtes où ils com­men­cent à tra­vailler ? Et dans ce cas, est-ce que cela signi­fie que nous devrions tous tra­vailler 6 mois gra­tui­te­ment ? Qu’est-ce qui empêche les patrons d’embau­cher un nou­veau groupe de chômeurs au bout de ces 6 mois, au lieu de donner un contrat aux ex-chômeurs qui y tra­vaillent déjà ? “Rien”, a dû admet­tre le représ­entant du syn­di­cat, “mais c’est un pro­blème que la muni­ci­pa­lité devrait suivre de près.”

Heureusement les mili­tants de Doorbraak ont pu tirer profit de cette réunion. Ils se tenaient à l’entrée de la salle avec des pan­car­tes de pro­tes­ta­tion et ont dis­tri­bué à tous ceux qui entraient un tract dénonçant clai­re­ment le tra­vail obli­ga­toire et appe­lant à pren­dre contact avec nous. Nous avons pu avoir des dis­cus­sions intér­ess­antes avec les per­son­nes prés­entes avant, pen­dant la pause et après la réunion. Pour nous ces éch­anges spon­tanés ont été plus riches que tout le pro­gramme offi­ciel.

Eric Krebbers

Notes de Ni patrie ni fron­tières
1. Ce pro­gramme de “déro­gation sala­riale” auto­rise les employeurs à payer leurs sala­riés han­di­capés moins que le salaire mini­mum, la muni­ci­pa­lité com­plétant la différ­ence ; http://www.ans­wers­for­bu­si­ness.nl/su…
2. DZB est une société privée créée avec des fonds muni­ci­paux en 1996 pour “dével­opper une appro­che fondée sur le marché et l’entre­prise afin de four­nir des emplois et des for­ma­tions à des gens ayant des han­di­caps d’appren­tis­sage” et des “mala­dies men­ta­les” pour qu’ils “mènent une vie aussi nor­male que pos­si­ble à tra­vers un pro­ces­sus d’éman­ci­pation, d’auto­no­mi­sa­tion (empo­wer­ment), d’acti­va­tion sociale et d’indép­end­ance”. On apprend un peu plus loin sur le site http://www.euro­found.europa.eu/area… que cette société qui vit de fonds publics et européens s’occupe aussi de jeunes chômeurs par­fai­te­ment “sains d’esprit” eux, et de chômeurs de longue durée à qui il faut “réappr­endre à tra­vailler” ! Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites !