Pays-Bas: La “Coalition violette” est-elle de retour?

Appris de Fortuyn?
Appris de Fortuyn?
Certains l’auront remarqué : ces dernières semaines, Doorbraak s’est peu mêlé du cirque électoral. Qu’aurions-nous donc pu ajouter à l’avalanche de débats et d’opinions? Nous nous sommes tenus à distance. Bien sûr, nous aurions pu déclarer que finalement, les vraies solutions ne peuvent venir qu’en dehors du Parlement. Mais de toute façon, nous n’aurions pas pu faire entendre notre voix face à l’agressivité des médias commerciaux. Nous avons donc continué à faire ce que nous tentons toujours de faire: construire la résistance parmi ceux d’en bas. Selon notre propre rythme, avec notre propre perspective.

Le texte original en néerlandais
(13 septembre 2012)

Traduit par Joel Trepp pour Ni patrie ni frontières

Ce qui ne veut pas dire que nous n’vons pas apprécié les “activités électorales” des autres groupes de gauche et progressistes. Au contraire : l’IS [Internationale Socialisten, International Socialist Tendency, NdT] a organisé une belle manifestation contre le congrès du VVD [parti libéral de droite], on pouvait télécharger des affiches parodiques contre ce même parti sur le site web Krapuul, et le syndicat FNV fustigeait à juste titre “le désert social”. Des militants de tendance plutôt anarchiste brûlaient leurs bulletins de vote ou publiaient leurs critiques, généralement solides, sur le site web Ontstemd . Les auteurs du site souhaitaient “aider les gens, à travers cette initiative, à prendre conscience du fait que les changements sociaux nécessaires et souhaités ne seront pas réalisés par quelque Parlement que ce soit. Nous devons imposer ce changement ensemble, par en bas”. Effectivement, le Parlement ne risque pas de réaliser des changements révolutionnaires, mais la question de savoir qui siégera au Parlement n’est pas tout à fait sans intérêt. Certains militants de Doorbraak n’ont pas voté hier, alors que d’autres l’ont fait, probablement pour le SP [Parti Socialiste (1)] pour la plupart d’entre eux. Faute de mieux, bien sûr.

La crise

Lors des campagnes et discussions électorales il était intéressant de noter l’absence presque complète de débat sur l’origine de la crise. En 2008 et 2009 on entendait beaucoup de critiques contre les banques, et l’année dernière, pendant un moment lors du mouvement Occupy, c’était même le capitalisme en tant que tel qui était visé, mais désormais les médias traitent la crise presque comme un phénomène naturel. Les politiciens n’ont émis aucune critique contre les institutions et les individus responsables de la crise, car ils devront bientôt collaborer avec ces mêmes institutions et ces mêmes personnes. Ils pensent qu’il faut continuer dans le même sens, à tout prix. Tous les partis veulent “aller de l’avant”, ont “envie de l’avenir” et espèrent participer à la gestion de la “Société Anonyme des Pays-Bas”. Et cela signifie des coupes budgétaires, qu’elles soient rapides et dures, ou un peu plus lentes. Mais dans le monde politique, presque tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faudra prendre de l’argent aux pauvres pour en donner aux riches.

Les perdants

Mais tous les partis n’auront pas la même chance d’entrer au gouvernement. Le CDA, l’hypocrite parti chrétien qui avait toujours su attirer une partie des électeurs progressistes afin de mener une politique de droite, a été presque anéanti. Bon débarras. Cela vaut aussi pour GroenLinks, le parti progressiste écolo qui avait affirmé que le gouvernement de droite sortant ne réalisait pas suffisamment de “réformes” économiques, et qui critiquait Rutte entre autres parce qu’il n’avait pas “assoupli” les règles de licenciement. Ce parti a également tenté en vain de séduire des électeurs nationalistes en diffusant des affiches et des t-shirts portant l’inscription “NL” (Nederland, Pays-Bas) en lettres capitales.

Heureusement, le PVV [parti de droite nationaliste] a également perdu une grosse partie de ses voix, mais cela ne signifie pas la disparition des idées nationalistes et racistes de Wilders. Au contraire, plus que jamais, ces idées sont devenues la norme, et sur ce point le PVV a été fort peu attaqué. Wilders profite toujours du vent de droite qui souffle aux Pays-Bas, par exemple en proposant que la police rentre dans les cafés turcs et marocains pour vérifier si les habitués ont bien un emploi. Ces descentes de police proposées par Wilders sont en parfaite harmonie avec les mesures gouvernementales actuelles qui convoquent des masses de chômeurs pour les transporter ensuite vers des lieux de travail à Rotterdam et bientôt à La Haye.

Gagner des électeurs

Finalement, le SP a gagné autant de sièges qu’aux dernières élections. Roemer (le chef du SP) et une grande partie de ses électeurs avaient tellement envie de participer au gouvernement et d’attirer également des voix plus à droite, qu’ils commençaient à abandonner de plus en plus les positions de gauche. Les résultats d’hier soir montrent que ces efforts ont été vains. Il est inutile pour les militants de gauche d’espérer quoi que ce soit du SP, comme l’avait écrit très justement Peter Storm [bloggeur militant] il y a deux semaines.

En fin de compte, ces élections se sont résumées à un affrontement entre le VVD et le PvdA [parti social-démocrate] ou plutôt : entre le Premier ministre Mark Rutte et le leader travailliste Diederik Samsom, car les élections deviennent de plus en plus personnalisées. Samsom a su gagner des voix en véhiculant l’image convaincante d’un homme fort, qui jouit d’une confiance en soi démesurée (“je serai Premier ministre”) et une apparence d’ouverture et d’honnêteté qui rappelle fortement Pim Fortuyn [le populiste de droite assassiné en 2002]. Non pas tant par le contenu politique, bien sûr, mais plutôt par son message implicite, extrêmement machiste: “Viens chez moi, je suis fort et attentif comme un père de famille, je vais gagner.” En mettant l’accent surtout sur le “moi”, et beaucoup moins sur “le parti”. Construisons d’abord l’image du gagnant, et les voix suivront, telle était la stratégie. Bien sûr, une telle approche populiste peut seulement réussir dans un climat politique où les débats idéologiques sont d’une importance tout à fait secondaire.

La coalition violette

Le VVD, le PvdA et D66 sont les gagnants des élections : c’est la coalition violette (2). Il est très probable que ces partis poursuivront ensemble le travail commencé dans les années 90 [quand la “coalition violette” était au gouvernement] : perfectionner encore plus le contrôle de l’immigration et l’apartheid administratif et continuer à casser la protection sociale. Plus de flexibilisation et privatisations, discipliner davantage le bas de l’échelle du marché de travail, intensifier le rythme du travail… Partout on entend parler de la “défaite des extrêmes” et du retour du Centre tranquille, mais il faudrait plutôt parler d’un retour du Centre extrême. C’est le Centre radical qui détruit tous ce qu’il nous reste de démocratie en nous livrant encore plus aux forces “du marché”. Certaines voix s’élèvent même pour dire que ce reste de démocratie n’est plus vraiment adapté à notre époque moderne, où les flux de capitaux traversent le monde à une vitesse inouïe. Des processus de prises de décisions démocratiques ne feraient que retarder la réponse des gouvernements à ces développements. Les électeurs ont beau se prononcer démocratiquement pour une certaine politique, si les marchés financiers ne sont pas d’accord, tout s’arrête. Il faudra donc bien prendre nous-mêmes l’initiative, d’en bas et en dehors du Parlement, si nous voulons vraiment réaliser des améliorations.

Eric Krebbers

Notes
1. Ce parti ex-maoiste a abandonné beaucoup de ses positions dites de gauche : il est favorable au contrôle de l’immigration et se vante d’avoir été le premier parti à avoir rédigé un livre blanc sur l’immigration, il est également favorable au maintien des Pays-Bas dans l’Otan et participe à la commission parlementaire de défense tenue au secret… (Note de Ni patrie ni frontières).
2. Depuis que cet article a été écrit, c’est-à-dire il y 6 semaines, le VVD (libéral) et le PDva (social-libéral) ont annoncé qu’ils allaient former une coalition “violette” (néo-libérale et non confessionnelle). (Note de l’auteur).