De Fabel van de illegaal n° 52/53, été 2002

Par: Jan Tas

Traduit de l'anglais en français par Yves Coleman (Ni patrie ni frontières)


Trafic de drogue aux Pays-Bas : un prétexte pour diffamer les Antillais néerlandais

Ces derniers mois, il y a eu toute une agitation dans les médias autour de prétendues hordes d’Antillais qui se livreraient au trafic de drogue aux Pays-Bas en avalant des paquets de poudre de cocaïne emballés dans des préservatifs. On les appelle aussi des bolletjesslikken (« avaleurs de boulettes » – en français des « mules », NPNF). Au nom de la lutte contre la drogue, une nouvelle loi est entrée en vigueur et des mesures sévères vont être prises. Celles-ci semblent être dirigées davantage contre les Antillais que contre la drogue. Aux yeux des Néerlandais, les Antilles sont surtout connues pour être un lieu de villégiature et de raffineries de pétrole. Personne [dans les médias] ne parle de la pauvreté parmi la population antillaise.


L’économie des Antilles néerlandaises est en mauvais état. Le Fonds monétaire international (FMI) a imposé des restrictions draconiennes en matière de financement. Ce sont en particulier les pauvres qui souffrent de ces mesures. Le taux de chômage est très élevé et ceux qui travaillent ne gagnent, en général, pas plus de 150 euros par mois. Ce facteur pousse certains Antillais à prendre le risque de s’engager dans le trafic de drogue. En transportant 50 à 100 « boulettes » de drogue dans votre estomac, vous pouvez gagner de 2 500 à 5 000 euros.

Une réaction exagérée.

Il y a quelque temps, les autorités ont avoué que beaucoup de passeurs de drogue arrêtés à l’aéroport de Schiphol étaient libérés en raison du manque de places en prison. Le ministre de la Justice, Korthals, a été sévèrement critiqué pour cette décision. Selon un sondage, « un tiers de la population néerlandaise aurait moins confiance dans le système judicaire » après avoir pris connaissance de cette information. Cette réaction est tout à fait exagérée, ne serait-ce que parce que seulement 0,3 % des importations de cocaïne pénètrent dans le pays grâce à des « mules » (1). Cette réaction est probablement davantage due à des conceptions racistes qu’à cette « révélation ». Le renforcement de la lutte contre ce genre de trafic de drogue est bien en harmonie avec le climat anti-Antillais qui sévit aux Pays-Bas. Cette politique est surtout applicable aux jeunes Antillais néerlandais qui, selon l’opinion publique, passent leurs journées à voler, dealer de la drogue, se prostituer et participer à des fusillades. Beaucoup de mesures ont été prises contre les jeunes Antillais néerlandais, dont l’interdiction pour les jeunes Antillais de venir habiter aux Pays-Bas, et le renvoi d’Antillais dans leur île natale alors qu’ils y vivent déjà (2). La lutte contre les « mules » sert de prétexte et d’alibi pour prendre toutes sortes de mesures à l’encontre des Antillais. Les médias diffusent tout à coup des reportages effrayants sur ces trafiquants de drogue. Des histoires de gangs qui enseignent aux enfants de Curaçao comment devenir des « mules » en leur faisant avaler des carottes. Ou des chiffres impressionnants sur le nombre de trafiquants de drogue qui seraient responsables du manque de places dans les prisons bataves. La compagnie aérienne KLM est également tout à fait disposée à participer [à cette campagne de diabolisation des Antillais], parce que la publicité faite autour de ces trafiquants de drogue est mauvaise pour son image et ses revenus. « Lors de chaque vol, notre personnel et les passagers peuvent se trouver dans le même avion qu’environ 60 trafiquants dont l’estomac est rempli de sachets de cocaïne, qui peuvent devenir fous à n’importe quel moment, vomir sur leurs voisins ou, dans le pire des cas, mourir dans leurs sièges », a déclaré M. Baas, porte-parole de KLM.

Loi d’urgence.

Peu après le commencement du débat, une loi d’urgence est entrée en vigueur pour la durée d’un an afin de faciliter l’enfermement des suspects dans les affaires de trafic de drogue. Elle viole une autre loi et, selon certains avocats, la Constitution néerlandaise elle-même. En raison de cette nouvelle réglementation, on peut désormais enfermer plus d’une personne par cellule. Les suspects ont le droit de « prendre l’air » une heure par jour, mais ils ne sont pas autorisés à travailler. Les mineurs et les adultes, les condamnés et les suspects peuvent être enfermés ensemble. Enfin, les prisonniers ont moins de possibilités de se plaindre d’éventuels mauvais traitements.

Autre conséquence de cette loi d’urgence : les contrôles des passagers se rendant aux Antilles ou en revenant sont désormais accrus. La police militaire enquête sur les données personnelles de tous ceux qui réservent un vol. Entre autres, ses membres vérifient les casiers judiciaires, si les passagers ont déjà été condamnés et à quelle fréquence ils voyagent entre les Pays-Bas et les îles antillaises. Ils vérifient également si les clients répondent aux profils des trafiquants de drogue créés par la police militaire. Bien sûr, ces profils ne sont pas accessibles au grand public et tenus secrets. Les passagers dépendent donc des convictions racistes du ministère de la Justice.

Les barrières spéciales de la police militaire.

Après cette première enquête, les clients sont également contrôlés quand ils arrivent à l’aéroport. Les passagers sont attendus par « des barrières installées par la police militaire et qui mènent à des comptoirs d’enregistrement différenciés » (3). La police militaire leur pose des questions du type : « Qui vous a amené à l’aéroport ? » et : « Combien d’argent transportez- vous ? » Si la police militaire pense que vous avez un comportement suspect, ils déconseillent à la compagnie aérienne de vous laisser monter dans l’avion. En s’appuyant cet avis négatif, la compagnie aérienne peut refuser d’embarquer un voyageur. Elle n’est pas obligée de suivre cet avis, mais bien sûr elle ne s’y oppose jamais. « Si nous ne suivons pas leur avis, KLM pourrait être considéré comme étant plus ou moins complice du trafic de drogue. Bien sûr, nous voulons empêcher que cela arrive. »

Quand un client est soupçonné de trafic de drogue, et que la compagnie aérienne refuse de l’embarquer, cette information est ajoutée à son dossier personnel. La prochaine fois que cette personne voudra se rendre aux Antilles, elle sera automatiquement suspectée et à nouveau refoulée. Les Antillais néerlandais sont traités comme des citoyens inférieurs, et peuvent être contrôlés à tout moment par les autorités. Comme un jeune Antillais l’a déclaré à Schiphol : « Tout le monde, à l’aéroport, peut voir comment les Noirs sont obligés de se diriger vers certains comptoirs d’enregistrement comme s’ils étaient du bétail (4). »

Vomitifs policiers à Hambourg.

La « guerre contre la drogue » n’est pas seulement utilisée aux Pays-Bas pour isoler les Noirs des autres membres de la population. Dans la ville allemande de Hambourg, les autorités ont fait adopter une loi qui leur donne le pouvoir d’arrêter les trafiquants de drogue dans la rue. Ces derniers avalent parfois les drogues emballées dans de petits sachets en plastique afin de les cacher quand les policiers les fouillent. La nouvelle loi accorde à la police le droit de contraindre les suspects à prendre un vomitif, afin de vérifier s’ils ont ingurgité un sachet de drogue. En pratique, cette méthode est utilisée pour intimider les jeunes Noirs dans la rue. Cette méthode de détection des trafiquants de drogue a déjà fait un mort, ce qui ne semble inquiéter personne. Personne ne s’interroge non plus sur les méthodes brutales utilisées par le gouvernement néerlandais pour intimider les Antillais aux Pays-Bas.

Notes

1. « De narconomie van Curaçao », De Groene Amsterdammer, 9.2.2002.
2. « Probleem zit in Nederland », De Volkskrant, 8.4.2002.
3. « Nederlandse regering wil arme Antilliaanse jongeren weren », Ellen de Waard, Fabel Archief.
4. « Lege rijen op vlucht naar Antillen », Leidsch Dagblad, 16.4.2002.

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