Les sans-papiers face au Coronavirus

Les personnes sans titre de séjour sont particulièrement touchées par la crise du Coronavirus, selon les expériences de groupes qui tentent de les soutenir, comme STIL (1) à Utrecht et De Fabel van de illegaal (2) à Leyde. En moyenne, les sans-papiers ont une santé beaucoup plus fragile et peuvent difficilement prétendre à des prestations qui sont encore disponibles pour d’autres. Ils sont donc particulièrement vulnérables dans cette crise. Voici un aperçu court et évidemment incomplet de quelques problèmes pratiques.

En raison de leur santé plus fragile, les personnes sans titre de séjour sont, en principe, plus susceptibles de tomber gravement malades si elles contractent le coronavirus. De plus, l’accès aux soins des sans-papiers pendant la crise du Coronavirus est encore plus mise sous pression que pour les autres malades. Même sans la crise du Coronavirus, les sans-papiers ont en moyenne beaucoup de mal à recevoir des soins. En théorie, ils ont droit à des soins médicaux et il existe également un fonds d’urgence du Centraal Administratie Kantoor (CAK, Bureau central d’administration), pour financer ces soins. Malheureusement, il arrive régulièrement qu’ils soient refusés par les médecins généralistes, les hôpitaux et autres établissements de soins. Il peut y avoir toutes sortes de raisons à cela: la stigmatisation du fait d’être “clandestin”; la méconnaissance par le personnel de santé du système de fonds d’urgence; la réticence à mettre en œuvre ce système; ou le postulat erroné de ce personnel selon lequel les sans-papiers n’ont droit qu’à des soins d’urgence de base dans les cas graves, donc qu’ils seraient privés de tous les autres soins planifiés que reçoivent les patients bénéficiant d’une assurance-maladie.

Cette traduction d’Yves Coleman a déjà été publiée sur le site Ni patrie ni frontières. Le texte original en néerlandais peut être trouvé ici. Deze vertaling door Yves Coleman verscheen eerder op de website Ni patrie ni frontières. De originele tekst in het Nederlands vind je hier.

D’ailleurs, tous ces soins planifiés sont actuellement sous pression pour tout le monde. Par exemple, les opérations sont reportées, même pour les personnes gravement malades. Les médecins généralistes travaillent presque seulement au téléphone, ce qui est un gros problème si vous ne parlez pas très bien le néerlandais. Les associations de soutien sont fermées, ou en tout cas moins accessibles. Et ceux qui sont malades, que ce soit du Coronavirus ou d’autre chose, ont besoin d’un endroit décent pour se reposer ou se soigner, si nécessaire. De tels lieux manquent également pour de nombreux immigrés sans-papiers.

Transfert

À Leyde, le BBB, qui est géré par la Fondation pour les réfugiés, et a épuisé tous ses recours juridiques, est menacé de fermeture définitive dans environ un mois et demi. La fermeture imminente doit être considérée comme une pure mesure d’austérité de la part de la municipalité. À la fin de l’année dernière, les membres de la permanence de De Fabel van de illegaal avaient déjà alerté la municipalité par le biais d’une lettre virulente sur les problèmes que cette fermeture allait causer. Le SP (3) et le Partij Sleutelstad (4) ont également protesté contre cette fermeture lors d’une séance du conseil municipal. Mais cela s’est avéré vain, car la majorité du conseil municipal a rejeté les critiques contre la fermeture. Les résidents du BBB risquent maintenant d’être transférés au LVV, à Rotterdam, ou de se retrouver dans les rues de Leyde ou ailleurs.

En raison de la crise du Coronavirus, il est devenu d’autant plus risqué pour les habitants du BBB d’être transférés à Rotterdam. Le transfert en tant que tel, bien sûr, présente déjà un risque de contamination. Ce n’est pas pour rien que les autorités nous appellent sans cesse de ne pas nous déplacer d’une ville à l’autre. En outre, contrairement au BBB de Leyde, le LVV de Rotterdam ne concerne que les soins de nuit, pas les soins de jour. Cela signifie que les sans-papiers sont, en principe, renvoyés dans la rue pendant la journée et donc exposés à la contamination. Les sans-papiers n’ayant en général pas le droit d’accéder aux installations de santé, les mesures spécifiques qui devraient les protéger contre le coronavirus sont également minimales par nature.

Soit dit en passant, une partie de l’accueil à Rotterdam se fait dans des dortoirs, c’est-à-dire en concentrant de nombreuses personnes dans de petites chambres. Si un dormeur tousse, tout le monde respire le virus. À titre de comparaison: le refuge BBB de Leyde dispose de chambres doubles, où dorment des personnes qui vivent ensemble depuis des mois, voire des années, ce qui signifie logiquement un risque moindre. De plus, le LVV de Rotterdam offre en principe un abri temporaire durant six mois, voire moins dans certains cas. Enfin, on peut se demander si tous ceux qui étaient accueillis dans le BBB de Leyde seront vraiment admis au LVV de Rotterdam.

Perte de boulot

Le conseiller Ries van Walraven a exprimé son inquiétude à propos des résidents du BBB à Leyde en rapport avec la crise du Coronavirus et il a donc récemment posé à nouveau des questions au Conseil municipal. Il en ressort que le conseil municipal souhaite poursuivre le transfert à Rotterdam et accepte donc tous les risques associés. Les habitants du BBB de Leyde menacent d’être contraints de déménager dans une ville où ils ne connaissent personne et n’ont pas de réseaux de soutien propres.

Certes tous les sans-papiers de Leyde ne sont pas pris en charge par le BBB. Un certain nombre d’entre eux vivent avec de la famille ou des amis depuis une période plus ou moins longue, ou sont sans abri et errent. Certains d’entre eux louent une chambre qu’ils essaient de payer en travaillant. Mais la crise du Coronavirus rend cette tâche de plus en plus difficile. Un visiteur de la permanence du groupe De Fabel van de illegaal à Leyde a récemment annoncé qu’il ne pouvait plus faire le travail de nettoyage qui lui permettait de louer une chambre. Invoquant le Coronavirus, ses employeurs l’ont informé qu’il n’y avait plus de travail pour lui. Il s’est donc retrouvé en grande difficulté du jour au lendemain et son propriétaire a menacé de le mettre à la rue. Heureusement, des camarades ont réussi à lui trouver de l’argent grâce à un fonds d’urgence.

Pas d’expulsions, mais un centre de rétention pour les expulsables

Il n’y a actuellement aucune expulsion des Pays-Bas de sans-papiers vers leur pays d’origine. En raison de la crise du Coronavirus, il n’y a plus d’avions disponibles pour cette tâche . En outre, le gouvernement a annoncé que les contacts avec “tous les étrangers” seront réduits au minimum. Par exemple, les employés du “Service de rapatriement et de départ” n’organisent plus d’”entretiens de départ” avec les sans-papiers.

Néanmoins, il semble que des sans-papiers soient toujours arrêtes et enfermés dans un centre de rétention pour les expulsables. Et très peu de ceux qui étaient déjà détenus avant la crise du Coronavirus ont été libérés. Il est scandaleux que beaucoup de gens restent enfermés, alors qu’il n’y a en fait aucune “perspective d’expulsion”. Selon ses propres règles, l’État néerlandais doit donc les libérer. Un Soudanais, qui se trouve aux Pays-Bas depuis 18 ans et a même entamé une procédure de demande d’asile, a également été arrêté et se trouve dans le centre de rétention de Rotterdam, a récemment rapporté STIL, un groupe de soutien aux sans-papiers à Utrecht.

Le régime dans les centres de rétention est encore pire qu’avant pendant la crise du Coronavirus. Les prisonniers doivent rester dans leur cellule 21 heures par jour. Ils ne sont autorisés à sortir que deux fois pendant une heure et demie. Ils ne sont pas autorisés à faire du sport. Ils ne sont pas non plus autorisés à recevoir des visiteurs et ne peuvent pas acheter leur propre nourriture ou des produits pharmaceutiques dans le magasin de la prison. Et les personnes présentant des “symptômes de grippe” sont placées en “isolement”, c’est-à-dire complètement coupées de tout et de tous dans une cellule de prison stérile.

Tout cela est une honte. Les sans-papiers sont très vulnérables en raison de leur santé précaire, de leur dépendance à l’égard des lieux de refuge et du travail flexible, et de la possibilité toujours existante d’être placés en rétention. Ne considérons pas seulement les personnes ayant un titre de séjour ou la nationalité néerlandaise qui font partie des groupes à risque. N’oublions pas les sans-papiers en ce moment. Les centres de rétention doivent libérer leurs prisonniers immédiatement. Les personnes qui emploient des femmes de ménage ou des travailleurs sans droit de séjour doivent continuer à payer leurs employés. Et la municipalité de Leyde doit décider de reporter la fermeture du BBB à Leyde.

Harry Westerink

Notes du traducteur

1. Selon son site, “STIL aide les personnes sans titre de séjour depuis plus de vingt ans. Nous défendons la liberté de choix individuelle et sommes donc d’avis que chaque être humain devrait pouvoir aller où il veut, tout en conservant ses droits fondamentaux. Partout, toujours, pour tous. Cela signifie non seulement un endroit sûr pour manger, boire et dormir, mais aussi l’accès à des soins médicaux et à une assistance juridique, par exemple. Aux Pays-Bas, diverses organisations offrent une aide aux personnes qui souhaitent s’installer ici de manière temporaire ou permanente. Pour les personnes sans titre de séjour, les possibilités d’obtenir de l’aide sont toutefois limitées. Selon la loi, ils ne sont pas autorisés à subvenir à leurs besoins ; ils ne sont pas autorisés à travailler et à étudier, ils ne peuvent pas s’assurer, ils ne peuvent pas louer une chambre et ils ne sont généralement pas autorisés à utiliser les structures d’accueil pour sans-abri. Les travailleurs sociaux et les migrants sans papiers eux-mêmes ignorent souvent quels sont les droits des personnes sans permis de séjour. C’est pourquoi STIL informe les personnes concernées sur les droits et les possibilités et offre un soutien individuel sur le plan humanitaire, médical et juridique. En outre, nous essayons de stimuler la prise de conscience et le changement social, politique et juridique.” (NdT)

2. Ni patrie ni frontières a traduit et publié de nombreux articles ainsi qu’un un livre sur les activités et les positions de ce groupe qui a formé Doorbraak. (NdT)

3. Parti ex-maoïste, cf. entre autres cet article : “Pays-Bas: le SP un parti d’extrême gauche contre l’immigration“. Ou bien la notice très gentille à son égard de Wikipedia. (NdT).

4. Parti politique local qui vote généralement, avec le SP, et a 2 conseillers sur 35 (NdT).